Les Trompe-La-Mort
(Contos de enganar a morte. Tradução francesa)
Lorsque la Mort frappe à la porte, les trompe-la-mort se montrent peu empressés à La suivre. Toutes les astuces sont bonnes pour faire lanterner La Camarde: tromperie, imploration, musique envoûtante, arbre ensorcelé, château mystérieux… D’entourloupes em traquenards, La Mort ne sait plus où Donner de La Tetê.
Mais, ferronnier ou médecin, jeune ou vieux, actif ou oisif, combien de temps peut-on berner La Mort?
À travers quatre contes puisés dans um vieux fonds tant européen que brésiliens, Ricardo Azevedo traite avec drôlerie at poésie de cette question que chaque individu se pose dês as plus tendre enfance.
Des ilustrations aux couleurs chaleureuses entraînent le lecteur dans le sillage d’une Mort souvent bonne fille qui a bien du mal à faire son travail…
Les Trompe-la-mort (Contes brésiliens). Paris, Chandeigne, 2007
Comment Zé Malandro est mort…ou presque
Zé Malandro était un brave homme, mais fainéant comme pas un. Plutôt que de travailler comme tout un chacun, il préférait passer sa vie à vagabonder et à jouer aux cartes. Sinon il restait étendu dans son hamac, insouciant, jouant de la guitare ventre à l’air. C’est pourquoi il était pauvre, pauvre, pauvre.
Un jour, alors qu’il se disposait à dîner d’un peu de haricots et d’un morceau de pain sec, quelqu’un toqua à la porte. C’était un chemineau. L’homme – un vieillard – demanda un peu de nourriture.
« Entre donc – dit Zé Malandro. Quand il n’y en a pas pour un, il n’y en a pas pour deux. »
Ils rirent.
Après dîner, le chemineau le remercia vivement et lui confia qu’il avait des pouvoirs magiques.
« Tu as généreusement partagé ta pitance avec moi, dit le vieux chemineau. En rétribution, tu peux faire quatre vœux. Par exemple, suggéra-t-il, si tu le souhaites, tu peux me demander d’être protégé pour le reste de tes jours. »
Zé Malandro réfléchit et dit :
« Je voudrais être invincible aux cartes.
– Accordé ! dit le vieux. Et si tu demandais l’absolution de tous tes péchés ? »
Zé Malandro réfléchit et dit :
« J’aimerais avoir un figuier d’où les grimpeurs ne puissent descendre sans mon autorisation.
– Accordé ! dit le vieux. Et si tu demandais le salut de ton âme ? »
Zé Malandro réfléchit et dit :
« J’aimerais avoir un banc d’où personne ne puisse se lever sans mon consentement.
– Accordé ! dit le vieux. Et si tu demandais d’aller au paradis à ta mort ? »
Zé Malandro réfléchit et dit :
« J’aimerais avoir un sac de toile d’où, une fois entré, on ne puisse sortir sans mon autorisation. »
Le vieux se gratta la tête, accepta, fit ses adieux et reprit son chemin.
Ce même jour, Zé Malandro planta un pied de figuier à côté de sa maison et n’eut désormais à se préoccuper de rien, mais alors de rien du tout. Il passait ses journées étendu dans son hamac le ventre à l’air ou à jouer aux cartes. Comme il gagnait constamment, il avait toujours de quoi subvenir à sa nourriture, à son habillement et aux besoins de la vie domestique. Cela lui suffisait amplement.
Mais le temps est invisible. Le jour et la nuit passent à l’insu de chacun.
Le figuier devint un arbre touffu et Zé Malandro se fit vieux. Très vieux.
Une nuit, on frappa à sa porte. C’était la Mort vêtue d’un manteau noir.
« Zé, prépare-toi. Ton heure est venue – dit-elle, étreignant sa faux.
– Comment ?! s’étonna-t-il. Déjà ? Il doit y avoir erreur ! Je me sens encore si bien ! »
La Mort n’était pas portée sur les discours.
« Si tu es prêt, allons-y. »
Zé Malandro baissa la tête.
« Puis-je te demander une dernière faveur ? demanda-t-il les larmes aux yeux. Je veux manger une figue avant de mourir.
– Soit, dit la Mort. Mais ne traîne pas.
– Le problème – expliqua Zé Malandro en se contorsionnant –, c’est que je commence à me faire vieux et que je n’arrive plus à grimper aux arbres pour y cueillir des fruits. »
Il implora :
« S’il te plaît, Madame la Mort, fais-le pour moi ! C’est l’ultime désir d’un pauvre vieux rachitique sclérosé en pleine décrépitude. »
La Mort bougonna mais accepta. Elle grimpa sur l’arbre, cueillit une figue et resta bloquée. Quoi qu’elle fît, impossible de descendre !
Zé Malandro rit à gorge déployée, prit congé et s’en alla jouer aux cartes.
Abandonnant la Mort à sa fureur.
Tandis que la Mort demeurait captive au faîte du figuier, la confusion s’installait en ville. Faute de morts, fossoyeurs et fabricants de cercueils se retrouvèrent sans travail. Médecins et hôpitaux perdirent leur clientèle. De surcroît, le chômage s’étendit, car plus personne ne prenait sa retraite ni ne cédait sa place aux jeunes. Pire : la population augmenta dangereusement.
« C’est contre-nature ! criait la Mort révoltée, agrippée aux branches du figuier. Tu dois me laisser sortir d’ici ! »
Et la Mort insista, expliqua et argumenta tant que Zé Malandro finit par céder.
« Mais je te laisse descendre à condition que tu m’accordes encore sept ans de vie. »
La Mort n’avait pas le choix. Elle dut accepter.
Et ainsi, Zé Malandro continua sa douce vie de vagabond, heureux comme un pape, jouant aux cartes, toujours plus vieux, toujours plus invincible.
Sept années passent vite.
Une nuit, on frappa à sa porte. C’était un inconnu à la figure hideuse, portant chapeau et gilet sombres.
« Zé, prépare-toi – dit l’homme. Ton heure est venue.
– Qui es-tu ? voulut savoir Zé Malandro.
– Je suis le Diable – répondit l’autre, ôtant son chapeau et montrant deux tristes cornes. La Mort n’a voulu venir à aucun prix, et m’a chargé de t’amener.
– Comment ?! s’étonna-t-il. Déjà ? Il doit y avoir erreur ! »
Le Diable éclata de rire.
« Trêve de palabres ! J’en sais long à ton sujet. Nous partons tout de suite. Ou peut-être vas-tu me demander de grimper sur le figuier ? Tu ne m’auras pas ! »
Zé Malandro baissa la tête.
« Puis-je te demander une dernière faveur ? demanda-t-il les larmes aux yeux. C’est très important. C’est l’ultime désir d’un pauvre vieux rachitique sclérosé en pleine décrépitude. J’aimerais boire une dernière lampée de cachaça avant de boutonner mon paletot. Tu m’accompagnes ? »
Le Diable se lécha les babines.
« Ce n’est pas une mauvaise idée.
– Assieds-toi ici pendant que je vais chercher les verres et la gnôle », dit Zé Malandro en approchant son petit banc.
Sitôt dit sitôt fait. Le Diable s’assit mais ne put se relever.
« Sors-moi de là ! cria-t-il, effrayé. »
Zé Malandro s’esclaffa, fit ses adieux et s’en alla jouer aux cartes.
Le Diable étant incapable de s’arracher du banc, il n’y eût plus de crimes dans la ville. Les prisons se vidèrent et les gardiens, les commissaires, les avocats et les juges tremblèrent pour leur poste. Par ailleurs, chacun usant désormais du langage de la vérité, et la vérité n’étant pas une, la zizanie se glissa partout. Mais le pire n’était pas là. Le Diable passait toute la journée assis sur le petit banc, criant, glapissant et proférant d’horribles jurons.
« Tais-toi ! disait Zé Malandro.
– Ma femme va me tuer ! s’égosillait le Diable, furieux. Je suis sorti pour venir te chercher il y a plus d’un an et je ne suis toujours pas rentré chez moi ! À mon retour, elle va me rôtir le poil !
– Dis-lui que tu étais prisonnier d’un banc !
– Elle ne me croira pas ! Libère-moi Zé Malandro, s’il te plaît, sinon la Diablesse va me réduire en charpie ! »
Fatigué de ce Diable qui râlait jour et nuit, Zé Malandro se laissa fléchir.
« Mais je ne te délivre que si tu m’accordes encore sept ans de vie », dit-il.
Le Diable n’avait pas le choix. Il dut accepter.
Et ainsi, Zé Malandro continua sa douce vie de vagabond, heureux comme un pape, jouant aux cartes, toujours plus vieux, toujours plus invincible.
Le temps passa. À l’expiration des sept ans, Zé Malandro ferma sa maison à double tour, ne laissant débarrée qu’une petite fenêtre. Dans la chambre, sous la fenêtre, il plaça son sac de toile grand ouvert.
Cette nuit-là, le Diable apparut, accompagné de sa femme.
La Diablesse, qui tenait pour mensonge l’histoire du banc, avait voulu venir avec son mari.
Le Diable frappa à la porte. Rien. Il frappa de nouveau. Rien.
Il finit par découvrir la petite fenêtre débarrée et s’y glissa suivi de sa femme.
Les deux tombèrent dans le sac et y restèrent.
Zé Malandro surgit, un bâton à la main… et les coups se mirent à pleuvoir sur le sac !
« Au secours ! hurlait le Diable.
– À l’aide ! » hurlait la Diablesse.
Le couple infernal passa une année entière enfermé dans le sac à recevoir la bastonnade toute la sainte journée.
À la longue, Zé Malandro se fatigua. Il était trop vieux et même un peu gaga. Il libéra le couple de diables qui, au comble de la terreur, s’enfuit en clopinant. Quelques jours après, Zé ferma les yeux et rendit les clefs.
Il se dirigea droit vers les profondeurs de l’enfer.
Lorsqu’il y parvint il cogna à la porte. Le Diable apparut. En voyant Zé Malandro, il eut un mouvement de recul et s’écria :
« Va-t-en ! Tu n’entreras pas ! Décampe ! En enfer, pas de place pour toi ! »
Ne sachant que faire au juste, Zé Malandro s’en alla frapper aux portes du ciel. Saint Pierre apparut. Le saint fit grise mine.
« Tu n’as pas voulu être protégé, tu n’as pas voulu le pardon de tes péchés, tu n’as pas voulu le salut de ton âme ni venir au ciel. Va-t-en ! Au ciel, pas de place pour toi ! »
Et ainsi, n’ayant nulle part où aller, Zé Malandro retourna sur la terre. On dit qu’il y flâne encore, battant le carton, invincible.